Le célibat des filles est présenté tout autrement que celui des hommes. Le terme de vieille fille, fortement péjoratif, menace les femmes qui atteignent la trentaine sans être mariées. Si le célibat leur permet d’avoir une autonomie inconnue aux femmes mariées, entièrement dépendantes de leur époux, cette condition est soupçonnée avoir des effets dévastateurs tant sur leur physique que sur leur moral. « Coiffer sainte Catherine », c’est-à-dire atteindre vingt-cinq ans sans être mariée, est alors une perspective terrifiante pour la plupart des jeunes filles de la noblesse comme de la bourgeoisie.
Avec mademoiselle Gamard, mademoiselle Michonneau, la cousine Bette et tant d’autres, Balzac est assurément l’écrivain qui a proposé les plus féroces portraits de vieilles filles de toute la littérature du XIXe siècle. Nombre de ces héroïnes brillent par une méchanceté que leurs frustrations ont longuement murie, d’autres sont simplement sottes, comme Rose Cormon, héroïne du roman La Vieille Fille.
« Mais la pauvre fille avait déjà plus de quarante ans ! En ce moment, après avoir pendant longtemps combattu pour mettre dans sa vie les intérêts qui font toute la femme, et néanmoins forcée d’être fille, elle se fortifiait dans sa vertu par les pratiques religieuses les plus sévères. Elle avait eu recours à la religion, cette grande consolatrice des virginités ; son confesseur la dirigeait assez niaisement depuis trois ans dans la voie des macérations ; il lui recommandait l’usage de la discipline, qui, s’il faut en croire la médecine moderne, produit un effet contraire à celui qu’en attendait ce pauvre prêtre de qui les connaissances hygiéniques n’étaient pas très-étendues. Ces pratiques absurdes commençaient à répandre une teinte monastique sur le visage de mademoiselle Cormon, assez souvent au désespoir en voyant son teint blanc contracter des tons jaunes qui annonçaient la maturité. Le léger duvet dont sa lèvre supérieure était ornée vers les coins s’avisait de grandir et dessinait comme une fumée. Les tempes se miroitaient ! Enfin, la décroissance commençait. Il était authentique dans Alençon que le sang tourmentait mademoiselle Cormon ; elle faisait subir ses confidences au chevalier de Valois à qui elle nombrait ses bains de pieds, avec lequel elle combinait des réfrigérants. Le fin compère tirait alors sa tabatière, et, par forme de conclusion, contemplait la princesse Goritza.
— Le vrai calmant, disait-il, ma chère demoiselle, serait un bel et bon mari.
— Mais à qui se fier ? répondait-elle. »
Honoré de Balzac, La Vieille Fille, 1837 (Translation Katharine Prescott Wormeley)
Balzac a toujours été intéressé par les théories scientifiques. Il retient ici l’idée assez répandue au début du XIXe siècle selon laquelle l’absence d’usage de certains organes entraînerait leur atrophie : les femmes perdraient ainsi leur charme en n’en faisant pas usage, et la continence forcée des vieilles filles se lirait aisément sur leurs visages. Il applique au demeurant les mêmes théories aux hommes : les célibataires mâles trop sages risqueraient également, selon lui, un engourdissement définitif de leurs sens.
« Vers la fin de l’année 1817, Félicité des Touches aperçut non pas des flétrissures, mais un commencement de fatigue dans sa personne. Elle comprit que sa beauté allait s’altérer par le fait de son célibat obstiné, mais elle voulait demeurer belle, car alors elle tenait à sa beauté. La science lui notifia l’arrêt porté par la nature sur ses créations, lesquelles dépérissent autant par la méconnaissance que par l’abus de ses lois. Le visage macéré de sa tante lui apparut et la fit frémir. Placée entre le mariage et la passion, elle voulut rester libre ; mais elle ne fut plus indifférente aux hommages qui l’entouraient. Elle était, au moment où cette histoire commence, presque semblable à elle-même en 1817. Dix-huit ans avaient passé sur elle en la respectant. À quarante ans, elle pouvait dire n’en avoir que vingt-cinq. Aussi la peindre en 1836, est-ce la représenter comme elle était en 1817. Les femmes qui savent dans quelles conditions de tempérament et de beauté doit être une femme pour résister aux outrages du temps, comprendront comment et pourquoi Félicité des Touches jouissait d’un si grand privilège en étudiant un portrait pour lequel sont réservés les tons les plus brillants de la palette et la plus riche bordure. »
Honoré de Balzac, Béatrix, 1839
Selon les caricaturistes, la vieille fille se caractérise par un visage fripé au teint jaune, une tenue à la fois recherchée et ridicule, et l’aigreur de son caractère.