La Diversité de quartiers de Paris

Henri Monnier, Six quartiers de Paris, album de lithographies publié à Paris chez Delpech, 1828 (Maison de Balzac, inv. BAL96-14-1) –

Balzac est, comme beaucoup de ses contemporains, sensible à la diversité sociologique de Paris ainsi qu’aux mutations que traverse cette ville dans toute la première moitié du XIXe siècle. Les différents quartiers de Paris sont alors identifiés par leur population plus encore que par leur architecture, et les romanciers comme les dessinateurs vont souvent s’amuser à dégager les caractéristiques sociales réelles ou supposées de leurs habitants. Le petit rentier ou le commerçant devient la figure emblématique du Marais, le nouveau riche celle de la Chaussée d’Antin, l’ouvrier incarne la population des faubourgs de l’Est parisien, tandis que l’aristocratie domine le quartier Saint-Germain.

Habile caricaturiste, Henry Monnier souligne dans cet album de gravures les caractéristiques des habitants de six quartiers, relevant aussi bien leur costume que leur mobilier, leurs occupations, leur compagnie. On joue trivialement aux cartes dans un salon aux meubles désaccordés dans le Marais, alors que les aristocrates s’adonnent à la conversation dans le quartier Saint-Germain ; des hommes en costume, épais manteau et haut de forme discutent affaires dans le quartier de la Bourse, tandis que des familles modestes s’installent sous un arbre, le temps d’un pique-nique au nord du quartier Saint-Denis, alors resté champêtre.

Le costume, le physique comme la démarche deviennent autant de moyens de déterminer la qualité sociale des passants, et de définir la sociologie d’un quartier. La distinction reste naturellement caricaturale, d’autant que la sociologie parisienne varie non seulement selon les quartiers, mais aussi selon l’emplacement des appartements en hauteur, les étages inférieurs étant davantage appréciés que les niveaux élevés, puisque l’ascenseur moderne n’apparait pas avant 1850 et ne se généralise lentement qu’au XXe siècle.

Henry Monnier, Habitans de la Chaussée d’Antin, du Marais, des Faubourgs, lithographie 1828, (Maison de Balzac, BAL91-125)

« Il est dans Paris certaines rues déshonorées autant que peut l’être un homme coupable d’infamie ; puis il existe des rues nobles, puis des rues simplement honnêtes, puis de jeunes rues sur la moralité desquelles le public ne s’est pas encore formé d’opinion ; puis des rues assassines, des rues plus vieilles que de vieilles douairières ne sont vieilles, des rues estimables, des rues toujours propres, des rues toujours sales, des rues ouvrières, travailleuses, mercantiles. Enfin, les rues de Paris ont des qualités humaines, et nous impriment par leur physionomie certaines idées contre lesquelles nous sommes sans défense. Il y a des rues de mauvaise compagnie où vous ne voudriez pas demeurer, et des rues où vous placeriez volontiers votre séjour. Quelques rues, ainsi que la rue Montmartre, ont une belle tête et finissent en queue de poisson. La rue de la Paix est une large rue, une grande rue ; mais elle ne réveille aucune des pensées gracieusement nobles qui surprennent une âme impressible au milieu de la rue Royale, et elle manque certainement de la majesté qui règne dans la place Vendôme. Si vous vous promenez dans les rues de l’île Saint-Louis, ne demandez raison de la tristesse nerveuse qui s’empare de vous qu’à la solitude, à l’air morne des maisons et des grands hôtels déserts. Cette île, le cadavre des fermiers-généraux, est comme la Venise de Paris. La place de la Bourse est babillarde, active, prostituée ; elle n’est belle que par un clair de lune, à deux heures du matin : le jour, c’est un abrégé de Paris ; pendant la nuit, c’est comme une rêverie de la Grèce. » 

Balzac, Ferragus, 1833

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