L’ancien visage de Paris disparaît

Ce sont les travaux du préfet Hausmann qui, sous le Second Empire (1851-1870), ont donné à Paris la physionomie qu’elle présente encore aujourd’hui avec ses grands boulevards et ses immeubles cossus. Mais au tout début du XIXe siècle, Paris est déjà en pleine mutation : la confiscation des biens de l’Église durant la Révolution donne lieu à des spéculations immobilières sans précédent. On assiste, principalement sous l’Empire, à la destruction massive des bâtiments conventuels et des églises, qui s’accompagne de la disparition progressive des habitations médiévales ou renaissance qui formaient alors le vieux Paris. L’enrichissement de la population accélère cette évolution qui frappe les contemporains : les uns déplorent la disparition massive des traces du passé; d’autres relèvent la gêne causée par les chantiers qui envahissent la ville.

« Au milieu de la rue Saint-Denis, presque au coin de la rue du Petit-Lion, existait naguère une de ces maisons précieuses qui donnent aux historiens la facilité de reconstruire par analogie l’ancien Paris. Les murs menaçants de cette bicoque semblaient avoir été bariolés d’hiéroglyphes. Quel autre nom le flâneur pouvait-il donner aux X et aux V que traçaient sur la façade les pièces de bois transversales ou diagonales dessinées dans le badigeon par de petites lézardes parallèles ? Évidemment, au passage de toutes les voitures, chacune de ces solives s’agitait dans sa mortaise. Ce vénérable édifice était surmonté d’un toit triangulaire dont aucun modèle ne se verra bientôt plus à Paris. Cette couverture, tordue par les intempéries du climat parisien, s’avançait de trois pieds sur la rue, autant pour garantir des eaux pluviales le seuil de la porte, que pour abriter le mur d’un grenier et sa lucarne sans appui. Ce dernier étage était construit en planches clouées l’une sur l’autre comme des ardoises, afin sans doute de ne pas charger cette frêle maison. »

Balzac, La Maison du chat qui pelote, 1830

« Encore quelques jours, et les piliers des Halles auront disparu, le vieux Paris n’existera plus que dans les ouvrages des romanciers assez courageux pour décrire fidèlement les derniers vestiges de l’architecture de nos pères ; car, de ces choses, l’historien grave tient peu de compte. […] Les vieux piliers des Halles ont été la rue de Rivoli du quinzième siècle, et l’orgueil de la paroisse Saint-Eustache. C’était l’architecture des îles Marquises : trois arbres équarris posés debout sur un dé ; puis, à dix ou douze pieds du sol, des solives blanchies à la chaux faisant un vrai plancher du moyen âge. Au-dessus, un bâtiment en colombage, frêle, à pignon, quelquefois découpé comme un pourpoint espagnol. Une petite allée, à porte solide, longeait une boutique, arrivait à une cour carrée, un vrai puits qui éclairait un escalier de bois, à balustres, par lequel on montait aux deux ou trois étages supérieurs. Ce fut dans une maison de ce genre que naquit Molière ! A la honte de la ville, on a reconstruit une sale maison moderne en plâtre jaune, en supprimant les piliers. Aujourd’hui, les piliers des Halles sont un des cloaques de Paris. Ce n’est pas la seule des merveilles du temps passé que l’on voie disparaître. »

Balzac, Ce qui disparaît de Paris, 1845

Pierre-Antoine Demachy, Démolition de l’église Saint-Barthélemy dans l’île de la Cité, (Musée Carnavalet, Inv.P2367)
Hubert Robert, Démolition de l’église Saint-Jean-en-Grève en 1800, (Musée Carnavalet, Inv.P1510)

Très spectaculaires, les démolitions d’églises et de couvents bouleversent d’autant plus le tissu urbain qu’elles s’accompagnent de la création de nouvelles rues et de la construction d’immeubles modernes, transformant les repères traditionnels des Parisiens. Saint-Jean-en-Grève, église paroissiale jusqu’en 1793, se trouvait derrière l’hôtel de ville de Paris.

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