Quartier des universités et des écoles, le quartier latin occupe toute la rive gauche depuis la rue Bonaparte jusqu’au quai Saint-Bernard. La vie des étudiants, avec leurs pipes, leurs cafés, les danses, les grisettes, les punchs et les restaurants, a donné lieu à de nombreuses représentations folkloriques et pittoresques. Mais la réalité quotidienne de la rive gauche est bien moins séduisante, et ce quartier sale et misérable reste en marge de la vie parisienne qui anime la rive droite ou le faubourg Saint-Germain.
« En ce moment Bianchon et le grand homme se trouvaient dans la rue des Quatre-Vents, une des plus horribles rues de Paris. Desplein montra le sixième étage d’une de ces maisons qui ressemblent à un obélisque, dont la porte bâtarde donne sur une allée au bout de laquelle est un tortueux escalier éclairé par des jours justement nommés des jours de souffrance. C’était une maison verdâtre, au rez-de-chaussée de laquelle habitait un marchand de meubles, et qui paraissait loger à chacun de ses étages une différente misère. En levant le bras par un mouvement plein d’énergie, Desplein dit à Bianchon :
– J’ai demeuré là-haut deux ans !
– Je le sais, d’Arthez y a demeuré, j’y suis venu presque tous les jours pendant ma première jeunesse, nous l’appelions alors le bocal aux grands hommes ! Après ?
– La messe que je viens d’entendre est liée à des événements qui se sont accomplis alors que j’habitais la mansarde où vous me dites qu’a demeuré d’Arthez, celle à la fenêtre de laquelle flotte une corde chargée de linge au-dessus d’un pot de fleurs. J’ai eu de si rudes commencements, mon cher Bianchon, que je puis disputer à qui que ce soit la palme des souffrances parisiennes. J’ai tout supporté : faim, soif, manque d’argent, manque d’habits, de chaussure et de linge, tout ce que la misère a de plus dur. J’ai soufflé sur mes doigts engourdis dans ce bocal aux grands hommes, que je voudrais aller revoir avec vous. J’ai travaillé pendant un hiver en voyant fumer ma tête, et distinguant l’air de ma transpiration comme nous voyons celle des chevaux par un jour de gelée. »
Balzac, La Messe de l’athée, 1836
Cette gravure résume la vie de l’étudiant parisiens telle que l’idéalisent les romanciers : habillé de manière excentrique (cheveux trop longs, casquette ou chapeau), il passe des heures au café à jouer aux dominos, lire le journal ou discuter avec ses camarades –il ne manque ici que les soirées au bal public avec l’espoir d’y séduire une jeune femme. Mais le dessinateur évoque également les difficultés financières de la plupart de ces jeunes gens qui n’ont pas les moyens de s’offrir d’autre boisson que de l’eau.
Jusqu’à 1861, aucune femme n’est admise dans les universités françaises. « L’étudiante » est le nom donné à la compagne de l’étudiant, dont elle copie ici les manières en projetant de nauséabondes bouffées de cigare. La jeune femme au cœur tendre et « au frais minois sous un pimpant bonnet », qui agrémente la vie des étudiants parisiens, occupe une large place dans les récits et l’imagerie.
Grisettes : nom donné aux jeunes ouvrières.