La création contemporaine au XIXe siècle est traditionnellement présentée au Salon carré du Louvre, dans une exposition nommée « Salon de l’Académie des Beaux-Arts » qui se tient tous les deux ou trois ans, puis chaque année à partir de 1833. Tous les peintres vivants peuvent se présenter mais un jury composé de membres de l’Académie des Beaux-Arts décide de l’admission, sans se montrer toujours très favorable aux œuvres qui enfreignent la tradition. La critique suit avec beaucoup d’attention ces expositions : Heinrich Heine, Théophile Gautier, Charles Baudelaire, les frères Goncourt, ont laissé des descriptions précises et fines des peintures, sculptures et dessins présentés à un public considérable, car les Parisiens sont alors très friands d’art contemporain.
Le Salon est tellement couru par les foules que les artistes tiennent absolument à y participer et proposent de nombreuses œuvres. Le jury doit donc en refuser beaucoup, le plus souvent en raison de leur médiocrité. Honoré Daumier s’amuse ici de la réaction de l’un de ces artistes qui lacère sa toile, enragé de n’avoir pas été admis. La légende « Ingrate patrie, tu n’auras pas mon œuvre », fait allusion aux achats dans le Salon de quelques œuvres destinées au musée royal, un honneur espéré par la plupart des artistes.
On reconnaît un peintre à ses cheveux trop longs, son chapeau à larges bords et ses mains dans les poches, s’entretenant avec l’un de ses collègues. Mais comme la tenue ne suffit pas à devenir artiste, ces deux personnages visitent un Salon dont leurs œuvres ont manifestement été écartées : aussi leur jugement sur cette exposition est-il sévère ! La gravure montre l’affluence considérable qui témoigne de la popularité qu’atteignait l’art contemporain au début du XIXe siècle. On remarque aussi la juxtaposition des peintures, ce qui permettait d’en présenter davantage, mais compliquait leur mise en valeur. Il est presque impossible de voir convenablement les œuvres accrochées en hauteur dans les angles, aussi l’emplacement témoigne-t-il des préférences réelles du jury.
Le Salon est un événement tellement apprécié des Parisiens que les dessinateurs croquent volontiers des scènes qui reviennent chaque année : ébahissement des bourgeois, lassitude des visiteurs, mots d’enfants, avis tranchés de peintres barbus et échevelés, spectateurs se disputant à propos des œuvres… Le Salon est une exposition, c’est aussi un spectacle.
« Toutes les fois que vous êtes sérieusement allé voir l’Exposition des ouvrages de sculpture et de peinture, comme elle a lieu depuis la Révolution de 1830, n’avez-vous pas été pris d’un sentiment d’inquiétude, d’ennui, de tristesse, à l’aspect des longues galeries encombrées ? Depuis 1830, le Salon n’existe plus. Une seconde fois, le Louvre a été pris d’assaut par le peuple des artistes qui s’y est maintenu. En offrant autrefois l’élite des œuvres d’art, le Salon emportait les plus grands honneurs pour les créations qui y étaient exposées. Parmi les deux cents tableaux choisis, le public choisissait encore : une couronne était décernée au chef-d’œuvre par des mains inconnues. Il s’élevait des discussions passionnées à propos d’une toile. Les injures prodiguées à Delacroix, à Ingres, n’ont pas moins servi leur renommée que les éloges et le fanatisme de leurs adhérents. Aujourd’hui, ni la foule ni la Critique ne se passionneront plus pour les produits de ce bazar. Obligées de faire le choix dont se chargeait autrefois le Jury d’examen, leur attention se lasse à ce travail ; et, quand il est achevé, l’Exposition se ferme. »
Balzac, Pierre Grassou, 1839
« Sans parler des artistes refusés, il manque au salon beaucoup de maîtres. M. Ingres, qui prend les louanges les plus vives pour des critiques, ne veut pas affronter le grand jour du Louvre; Delaroche n’expose plus; Ary Scheffer, Gleyre, Schnetz, Amaury Duval, Decamps, Cabat, Aligny, Jules Dupré, Meissonier, se sont abstenus. Eh bien ! malgré toutes ces absences, volontaires ou forcées, la jeune
école française a dans les veines un sang si vivace et d’une pourpre si riche que les vides ne se sentent pas. — Uno avulso, non deficit alter; les élèves tiennent dignement la place des maîtres, et, franchement, il ne serait peut-être pas prudent à ceux-ci de rester trop longtemps éloignés de l’arène; ils pourraient, en y rentrant au bout d’un intervalle, trouver des jouteurs aussi habiles qu’eux à manier le ceste, et d’une vigueur plus juvénile.
Cette exposition, dénuée de l’attrait de la plupart des noms illustres, n’en est pas moins intéressante pour cela. La critique, moins distraite par les célébrités, aura le loisir de s’occuper de talents modestes et de mettre en lumière quelques nouvelles individualités. »
Théophile Gautier, Salon de 1847