Alfred de Vigny

François-Joseph Kinson. « Alfred de Vigny (1797-1863), en uniforme de gendarme de la maison du roi ». Huile sur toile. (Paris, musée Carnavalet, inv. P769)

Peu occupé par une carrière militaire monotone, Alfred de Vigny publie un premier recueil de poésies dépouillées et au symbolisme puissant. Développant le thème de l’homme supérieur incompris, il exprime une philosophie pessimiste et stoïcienne. Il écrit ensuite quelques romans historiques dans lesquels il revendique le droit du poète à l’invention, puis connaît en 1835 un grand succès au théâtre, avec la pièce Chatterton. Le plus souvent à l’écart de ses contemporains, Vigny occupe une place très particulière dans le paysage romantique et si son influence semble avoir été grande, il n’a pas atteint à la popularité et n’a pas eu de successeur immédiat. La beauté exceptionnelle qui se dégage de quelques œuvres a assuré la renommée du poète.

J’aime le son du cor, le soir, au fond des bois,
Soit qu’il chante les pleurs de la biche aux abois,
Ou l’adieu du chasseur que l’écho faible accueille,
Et que le vent du nord porte de feuille en feuille.

Que de fois, seul, dans l’ombre à minuit demeuré,
J’ai souri de l’entendre, et plus souvent pleuré !
Car je croyais ouïr de ces bruits prophétiques
Qui précédaient la mort des Paladins antiques.

Ô montagne d’azur ! ô pays adoré !
Rocs de la Frazona, cirque du Marboré,
Cascades qui tombez des neiges entraînées,
Sources, gaves, ruisseaux, torrents des Pyrénées ;

Monts gelés et fleuris, trône des deux saisons,
Dont le front est de glace et le pied de gazons !
C’est là qu’il faut s’asseoir, c’est là qu’il faut entendre
Les airs lointains d’un Cor mélancolique et tendre.

Souvent un voyageur, lorsque l’air est sans bruit,
De cette voix d’airain fait retentir la nuit ;
À ses chants cadencés autour de lui se mêle
L’harmonieux grelot du jeune agneau qui bêle.

Une biche attentive, au lieu de se cacher,
Se suspend immobile au sommet du rocher,
Et la cascade unit, dans une chute immense,
Son éternelle plainte au chant de la romance.

Âmes des Chevaliers, revenez-vous encor ?
Est-ce vous qui parlez avec la voix du Cor ?
Roncevaux ! Roncevaux ! Dans ta sombre vallée
L’ombre du grand Roland n’est donc pas consolée !

[…]

Alfred de Vigny, Le Cor, 1825

Alcide-Joseph Lorentz (1813-1891). 
« Du comte de Vigny quand la très noble muse
Daigne nous octroyer son style un peu confus, 
Elle peut aux vilains répondre pour excuse 
Que noblesse n’oblige plus ». 
Lithographie parue dans Le Charivari, 17 juin 1842, (Paris, Maison de Balzac, inv.BAL614)

Les cheveux longs et le regard rêveur signalent le poète. Mais avec la couronne comtale, les gens de maison qui l’entourent, et son carrosse en arrière-plan, Alfred de Vigny est aussi présenté comme un pur aristocrate, ce qui n’est pas fait pour le rendre proche des lecteurs du Charivari, journal à tendance républicaine. 

FR | EN