Laplace, Gauss, Bayes, tous des mathématiciens, génies de leur temps, tous des utilisateurs des statistiques. Cette science connait ses balbutiements dans l’Antiquité. Elle ne servait alors qu’aux recensements des armées ou des ressources, une simple collecte de données. Il faut attendre le 18èmesiècle pour que soit développée l’interprétation de ces données et leur utilisation à des fins prédictives. La théorie des probabilités se construit tout au long du 19èmesiècle, portée par l’obsession de cette époque pour les classifications, les inventaires et les typologies.
À l’aide des statistiques, on parvient par exemple à déterminer le taux de mortalité d’un groupe humain, on peut ensuite faire en sorte d’agir sur certains facteurs pour réduire ce taux.
Les dérives, évidemment, ne tardent pas à apparaître. Toutes les données sont interprétables et on peut leur faire dire tout ce que l’on souhaite, sous couvert de rigueur mathématique. Balzac, très au fait des développements de cette science qui l’intéresse au plus haut point, car elle touche aux groupes sociaux, l’utilise avec humour pour développer les théories les plus provocatrices. Sa Physiologie du Mariage, où un improbable calcul statistique mène le lecteur à découvrir le nombre de femmes vertueuses sur l’ensemble de la population féminine française, en est un exemple savoureux.
« MEDITATION II – STATISTIQUE CONJUGALE
L’Administration s’est occupée depuis vingt ans environ à chercher combien le sol de la France contient d’hectares de bois, de prés, de vignes, de jachères. Elle ne s’en est pas tenue là, elle a voulu connaître le nombre et la nature des animaux. Les savants sont allés plus loin : ils ont compté les stères de bois, les kilogrammes de bœuf, les litres de vin, les pommes et les œufs consommés à Paris. Mais personne ne s’est encore avisé, soit au nom de l’honneur marital, soit dans l’intérêt des gens à marier, soit au profit de la morale et de la perfectibilité des institutions humaines, d’examiner le nombre des femmes honnêtes. Quoi ! le ministère français interrogé pourra répondre qu’il a tant d’hommes sous les armes, tant d’espions, tant d’employés, tant d’écoliers ; et quant aux femmes vertueuses… néant ? »
Honoré de Balzac, La Physiologie du Mariage, 1829