« La physique et la chimie ont été appelées au secours de l’art alimentaire : les savants les plus distingués n’ont point cru au-dessous d’eux de s’occuper de nos premiers besoins et ont introduit des perfectionnements depuis le simple pot au feu de l’ouvrier, jusqu’à ces mets extractifs et transparents, qui ne sont servis que dans l’or et le cristal […] L’art de conserver les aliments est devenu une profession distincte, dont le but est de nous offrir, dans tous les temps de l’année, les diverses substances qui sont particulières à chaque saison. »
Brillat-Savarin, La Physiologie du goût, Méditation XXVII, 1825
Brillat-Savarin est un gastronome émérite, et s’il prend la peine de parler sciences dans sa fameuse Physiologie du goût, c’est que, en ce début de 19èmesiècle, le sujet est en train de révolutionner les arts de la table. Les chimistes se pressent pour découvrir des moyens de faciliter la vie quotidienne des français. Ils y sont incités par des concours lancés par les gouvernements successifs qui se soucient du bien-être du peuple et de celui de leurs armées.
L’ancêtre des boites de conserves, dont il est question dans cette citation, est une invention de Nicolas Appert. Fils d’aubergistes, celui-ci comprend très tôt la nécessité de travailler à un mode de conservation des denrées alimentaires plus faciles ainsi à stocker et à transporter. Devenu confiseur, il va continuer ses recherches avec succès. On lui doit l’appertisation (qui consiste à stériliser par la chaleur des denrées périssables dans des contenants hermétiques) mais également le bouillon de viande en cube et le lait concentré. Autant d’inventions utiles dont il voulut faire profiter les ménages dans tout le pays. La meilleure promotion à l’époque se faisait par le biais de publications. Pour qu’une invention se fasse connaître, il fallait faire éditer des livres, des brochures, des revues, des almanachs, car, même dans un pays encore largement analphabète, l’écrit et l’image imprimée restaient le moyen le plus efficace de diffuser l’information.
« Ève, qui remuait tout dans l’imprimerie, y trouva la collection des figures nécessaires à l’impression d’un almanach dit des Bergers, où les choses sont représentées par des signes, par des images, des gravures en rouge, en noir ou en bleu. Le vieux Séchard, qui ne savait ni lire ni écrire, avait jadis gagné beaucoup d’argent à imprimer ce livre destiné à ceux qui ne savent pas lire. Cet almanach, qui se vend un sou, consiste en une feuille pliée soixante-quatre fois, ce qui constitue un in-64 de cent vingt-huit pages. Tout heureuse du succès de ses feuilles volantes, industrie à laquelle s’adonnent surtout les petites imprimeries de province, madame Séchard entreprit l’Almanach des Bergers sur une grande échelle en y consacrant ses bénéfices. »
Honoré de Balzac, Illusions Perdues, 1843