La loi Guizot adoptée le 28 juin 1833 favorise l’alphabétisation de la population française. Pour répondre à la demande de livres ou de journaux de la nouvelle bourgeoisie durant la Monarchie de Juillet, un nouveau commerce voit le jour, les « cabinets de lecture », aussi appelés « cabinets littéraires ». Pour une modique somme, les lecteurs peuvent lire sur place ou emprunter un ou plusieurs ouvrages, suivant le règlement de la boutique. Il existe plusieurs types de cabinets, depuis les plus modestes, centrés sur la lecture sur place de la presse et de publications à bon marché, jusqu’aux plus luxueux dont les abonnés, membres de l’aristocratie ou de la haute bourgeoisie, se retrouvent pour emprunter de beaux livres. Cette activité de lecture sur place ou d’emprunt de documents fait des cabinets de lecture les ancêtres des bibliothèques publiques qui apparaitront en France en 1860.
Lieux d’information ou de plaisir littéraire, les nombreux cabinets de lecture de Paris se développent surtout au quartier latin et au Palais-Royal, alors animés d’une intense vie culturelle. Les plus populaires sont souvent tenus par des femmes, anciennes couturières, modistes ou lingères qui y trouvent une source de revenus lorsqu’elles ne peuvent plus exercer leur métier. Mais quel que soit leur public, les cabinets de lecture proposent généralement les mêmes publications particulièrement appréciées des lecteurs : les ouvrages censurés (romans érotiques, mais aussi essais philosophiques ou politiques d’orientation libérale), ainsi que les fictions, notamment le roman « noir » ou le roman historique. Balzac lui-même, grand admirateur de Walter Scott, a rédigé dans sa jeunesse plusieurs romans historiques destinés à ce public.
« Le cabinet de lecture de mademoiselle Chocardelle […] était situé rue Coquenard, à deux pas de la rue Pigalle, où demeurait Maxime. Ladite demoiselle Chocardelle occupait un petit appartement donnant sur un jardin, et séparé de sa boutique par une grande pièce obscure où se trouvaient les livres (…]. Dès les premiers jours, sa présence avait suffi pour achalander son salon de lecture ; il y vint plusieurs vieillards du quartier, entre autres un ancien carrossier, nommé Croizeau. Après avoir vu ce miracle de beauté féminine à travers les vitres, l’ancien carrossier s’ingéra de lire les journaux tous les jours dans ce salon […]. Huit jours après l’installation de la belle loueuse de romans, il accoucha de ce calembour galant : — « Vous me prêtez des livres, mais je vous rendrais bien des francs…»
Honoré de Balzac, Un homme d’affaires, Paris : Furne, Dubochet, Hetzel et Paulin, 1846