« Le tabac fumé cause en prime abord des vertiges sensibles ; il amène chez la plupart des néophytes une salivation excessive, et souvent des nausées qui produisent des vomissements. Malgré ces avis de la nature irritée, le tabacolâtre persiste, il s’habitue. Cet apprentissage dure quelquefois plusieurs mois. Le fumeur finit par vaincre à la façon de Mithridate, et il entre dans un paradis. De quel autre nom appeler les effets du tabac fumé ? Entre le pain et du tabac à fumer, le pauvre n’hésite point ; le jeune homme sans le sou qui use ses bottes sur l’asphalte des boulevards, et dont la maîtresse travaille nuit et jour, imite le pauvre ; le bandit de Corse que vous trouvez dans les rochers inaccessibles ou sur une plage que son œil peut surveiller, vous offre de tuer votre ennemi pour une livre de tabac. Les hommes d’une immense portée avouent que les cigares les consolent des plus grandes adversités. Entre une femme adorée et le cigare, un dandy n’hésiterait pas plus à la quitter que le forçat à rester au bagne s’il devait y avoir du tabac à discrétion ! Quel pouvoir a donc ce plaisir que le roi des rois aurait payé de la moitié de son empire, et qui surtout est le plaisir des malheureux ? Ce plaisir, je le niais, et l’on me devait cet axiome : fumer un cigare, c’est fumer du feu. »
Honoré de Balzac, Traité des excitants modernes, 1838
Le cigare et la pipe existaient depuis longtemps, et vers 1830 sont vendus les premiers « cigarets », du tabac roulé dans une feuille de papier. Quelques écrivains soulignent les méfaits du tabac sur l’activité créatrice, mais les risques pour la santé ne sont pas encore clairement identifiés.
Balzac, dans son Traité des excitants modernescondamne le tabac au même titre que le café, l’alcool ou le sucre, et le considère comme « l’excitant » le plus dangereux. Il analyse avec lucidité l’effet d’accoutumance mais également ses conséquences négatives, en particulier sur les muqueuses. Selon l’auteur, le tabac peut entrainer une apathie, altérer les facultés génératives et causer un vieillissement prématuré. Mais l’écrivain découvre aussi, grâce à George Sand, le houka de l’Inde et le narguilé de la Perse, et chante les louanges de leurs formes élégantes et de leurs effluves parfumés.
Balzac aurait même fait l’expérience du haschisch, sous forme de « confiture verte », lors de « fantasias » organisées à l’hôtel Pimodan, dans l’île Saint-Louis.
Bien des grands noms de l’art et de la littérature ont participé à ces réunions durant lesquelles du haschich était consommé sous le regard de médecins et, en 1845, Balzac y est convié par son ami Théophile Gautier. Il raconte ensuite cette expérience à Mme Hanska:
« J’ai résisté au haschisch, et je n’ai pas éprouvé tous les phénomènes ; mon cerveau est si fort, qu’il fallait une dose plus forte que celle que j’ai prise. »
Charles Baudelaire, également présent lors de cette soirée, en laisse un souvenir différent dans ses Paradis artificiels :
« On présenta [à Balzac] du dawamesk ; il l’examina, le flaira, le rendit sans y toucher. La lutte entre sa curiosité presque enfantine et sa répugnance pour l’abdication se trahissait sur son visage expressif d’une manière frappante. L’amour de la dignité l’emporta. »