Les jardins du Palais-Royal sont lotis peu avant la Révolution par le duc d’Orléans qui fait édifier sur toute la périphérie des maisons avec galerie, ainsi qu’un théâtre. Le côté sud, vers le palais, n’est pas achevé faute d’argent, et l’on y édifie des baraques en bois. Jusqu’à la Monarchie de Juillet, les nombreuses boutiques (plusieurs centaines !), les restaurants et les cafés, les différents théâtres, les maisons de jeu et la prostitution attirent un nombre considérable de promeneurs de tous horizons, fascinés par la poésie artificielle et débridée de ce mauvais lieu. La galerie en bois est reconstruite en pierre en 1829. Avec l’interdiction du racolage en 1830 puis l’expulsion des maisons de jeu en 1836, les jardins du Palais-Royal cessent d’être le lieu de distraction privilégié des Parisiens et des touristes.
Le jardin du Palais-Royal n’a guère changé depuis la construction des galeries entre 1781 et 1784. Le duc d’Orléans avait fait construire en 1787 un très vaste édifice à moitié enterré au centre du jardin, à usage de cirque, détruit par un incendie après une douzaine d’années. L’artiste présente le jardin en matinée et il a figuré quelques promeneurs. L’animation reste cependant bien moins moindre en journée que le soir.
Georg Opiz a dessiné plusieurs scènes caractéristiques de la vie du Palais-Royal. Parmi les nombreuses maisons de jeu, le 113, dont on aperçoit l’enseigne, est la plus célèbre. Les filles publiques, reconnaissables à leurs tenues voyantes et recherchées, paradent sous les galeries pour s’accorder avec les hommes d’affaire, les militaires ou les bourgeois avides de distractions, qui se pressent dans ce haut lieu de la galanterie parisienne.
À la tombée du jour, lorsque les chalands quittent peu à peu les boutiques et les cafés, ils sont remplacés par une faune tout aussi nombreuse mais bien différente. Cette peinture faite à l’imitation d’une gravure (elle reproduit un tableau présenté au Salon quelques années plus tôt) figure les discussions entre les prostituées et leurs clients.
Le Palais-Royal jouit d’un immense prestige dans l’esprit des collégiens parisiens qui espèrent y trouver une réponse à leurs questions sur les femmes, et se grandir en fréquentant de mauvais lieux. Félix de Vandenesse, héros du Lys dans la vallée, se souvient de ces émois de jeunesse :
« Mais à Paris, et dans ce temps, les conversations entre camarades étaient dominées par le monde oriental et sultanesque du Palais-Royal; Le Palais-Royal était un Eldorado d’amour où le soir les lingots couraient tout monnayés. Là cessaient les doutes les plus vierges, là pouvaient s’apaiser nos curiosités allumées ! Le Palais-Royal et moi nous fûmes deux asymptotes, dirigées l’une vers l’autre sans pouvoir se rencontrer. »
Balzac, Le Lys dans la vallée, 1836
Honoré de Balzac a laissé dans Illusions perdues la plus belle description du Palais-Royal qui soit. S’il ne s’étend guère sur l’architecture, il propose une analyse incroyablement poétique et précise du fonctionnement social de ce lieu dont il ne se trouve aucun équivalent à Paris.
« À cette époque, les Galeries de Bois constituaient une des curiosités parisiennes les plus illustres. Il n’est pas inutile de peindre ce bazar ignoble ; car, pendant trente-six ans, il a joué dans la vie parisienne un si grand rôle, qu’il est peu d’hommes âgés de quarante ans à qui cette description, incroyable pour les jeunes gens, ne fasse encore plaisir. En place de la froide, haute et large galerie d’Orléans, espèce de serre sans fleurs, se trouvaient des baraques, ou, pour être plus exact, des huttes en planches, assez mal couvertes, petites, mal éclairées sur la cour et sur le jardin par des jours de souffrance appelés croisées, mais qui ressemblaient aux plus sales ouvertures des guinguettes hors barrière. Une triple rangée de boutiques y formait deux galeries, hautes d’environ douze pieds. […] Ce sinistre amas de crottes, ces vitrages encrassés par la pluie et par la poussière, ces huttes plates et couvertes de haillons au dehors, la saleté des murailles commencées, cet ensemble de choses qui tenait du camp des Bohémiens, des baraques d’une foire, des constructions provisoires avec lesquelles on entoure à Paris les monuments qu’on ne bâtit pas, cette physionomie grimaçante allait admirablement aux différents commerces qui grouillaient sous ce hangar impudique, effronté, plein de gazouillements et d’une gaieté folle, où, depuis la Révolution de 1789 jusqu’à la Révolution de 1830, il s’est fait d’immenses affaires. […] La poésie de ce terrible bazar éclatait à la tombée du jour. De toutes rues adjacentes allaient et venaient un grand nombre de filles qui pouvaient s’y promener sans rétribution. De tous les points de Paris, une fille de joie accourait faire son Palais. Les Galeries de Pierre appartenaient à des maisons privilégiées qui payaient le droit d’exposer des créatures habillées comme des princesses, entre telle ou telle arcade, et à la place correspondante dans le jardin ; tandis que les Galeries de Bois étaient pour la prostitution un terrain public, le Palais par excellence, mot qui signifiait alors le temple de la prostitution. Une femme pouvait y venir, en sortir accompagnée de sa proie, et l’emmener où bon lui semblait. Ces femmes attiraient donc le soir aux Galeries de Bois une foule si considérable qu’on y marchait au pas, comme à la procession ou au bal masqué. Cette lenteur, qui ne gênait personne, servait à l’examen. […] Aussi tout Paris est-il venu là jusqu’au dernier moment ; il s’y est promené sur le plancher de bois que l’architecte a fait au-dessus des caves pendant qu’il les bâtissait. Des regrets immenses et unanimes ont accompagné la chute de ces ignobles morceaux de bois. »
Balzac, Illusions perdues, 1843
Les maisons de jeu sont désignées par leurs numéros. Elles sont tolérées par les gouvernements successifs en raison des sommes importantes qu’elles rapportent sous forme de taxes et de droits. Deux héros de Balzac viennent tenter leur chance au Palais-Royal : dans Le Père Goriot, Eugène de Rastignac gagne 5000 francs au n°9, tandis que Raphaël de Valentin, dans La Peau de chagrin, vient miser son dernier écu au n°36.
« Vers la fin du mois d’octobre dernier, un jeune homme entra dans le Palais-Royal au moment où les maisons de jeus’ouvraient, conformément à la loi qui protège une passion essentiellement imposable. Sans trop hésiter, il monta l’escalier du tripot désigné sous le nom de numéro 36. […] Si l’Espagne a ses combats de taureaux, si Rome a eu ses gladiateurs, Paris s’enorgueillit de son Palais-Royal, dont les agaçantes roulettes donnent le plaisir de voir couler le sang à flots, sans que les pieds du parterre risquent d’y glisser. Essayez de jeter un regard furtif sur cette arène, entrez… Quelle nudité ! Les murs, couverts d’un papier gras à hauteur d’homme, n’offrent pas une seule image qui puisse rafraîchir l’âme ; il ne s’y trouve même pas un clou pour faciliter le suicide. Le parquet est usé, malpropre. Une table oblongue occupe le centre de la salle. […] Au moment où le jeune homme entra dans le salon, quelques joueurs s’y trouvaient déjà. Trois vieillards à têtes chauves étaient nonchalamment assis autour du tapis vert ; leurs visages de plâtre, impassibles comme ceux des diplomates, révélaient des âmes blasées, des cœurs qui depuis longtemps avaient désappris de palpiter, même en risquant les biens paraphernaux d’une femme. Un jeune Italien aux cheveux noirs, au teint olivâtre, était accoudé tranquillement au bout de la table, et paraissait écouter ces pressentiments secrets qui crient fatalement à un joueur : – Oui. – Non ! Cette tête méridionale respirait l’or et le feu. Sept ou huit spectateurs, debout, rangés de manière à former une galerie, attendaient les scènes que leur préparaient les coups du sort, les figures des acteurs, le mouvement de l’argent et celui des râteaux »
Honoré de Balzac, La Peau de chagrin, 1830