La bataille d’Hernani

En février 1830, la première représentation de la pièce de théâtre Hernaniest l’objet d’une cabale autant politique que littéraire. Les admirateurs de Victor Hugo vont alors se liguer pour défendre la pièce, dans un combat que le récit des participants, et surtout celui de Théophile Gautier, immortaliseront sous une forme épique. La « bataille d’Hernani » n’a pas mis fin au théâtre d’esprit classique mais elle marque les débuts du drame romantique.

Albert Besnard (Paul Albert Besnard, dit, 1849-1934). « La première d’Hernani : Avant la bataille ». Eau-forte, crayon, lavis et huile sur toile. (Paris, Maison de Victor Hugo, inv.MHVP196)

Les récits particulièrement vivants et imagés laissés par les partisans d’Hernaniont conféré à cette soirée une dimension grandiose qui s’est si bien imposée, qu’il est devenu d’usage de la présenter comme une bataille homérique, et un passage décisif pour le théâtre français. Peintures ou films ont par la suite contribué à développer cette légende. 

  Stop (Louis Morel-Retz, dit), « Les Romantiques à la représentation d’Hernani, 1830 », (Paris, Maison de Victor Hugo inv. MVH E 568-A)

Si la contestation des dogmes du classicisme théâtral remonte au XVIIe siècle, les grands chahuts qui entourent les pièces contestataires commencent seulement quelques années avant la Révolution. Celui d’Hernani stimule les humoristes qui retiennent le contraste entre les jeunes soutiens de Victor Hugo, chevelus, barbus et virulents, et les tenants d’une conception plus classique du drame, figurés vieux, à moitié endormis, et dissimulant leur calvitie sous une perruque.  

  Stop (Louis Morel-Retz, dit), « Les Romantiques à la représentation d’Hernani, 1830 », (Paris, Maison de Victor Hugo inv. MVH E 568-A)

« 25 février 1830 ! Cette date reste écrite dans le fond de notre passé en caractères flamboyants : la date de la première représentation d’Hernani ! Cette soirée décida de notre vie ! Là nous reçûmes l’impulsion qui nous pousse encore après tant d’années et qui nous fera marcher jusqu’au bout de la carrière. Bien du temps s’est écoulé depuis, et notre éblouissement est toujours le même. Nous ne rabattons rien de l’enthousiasme de notre jeunesse, et toutes les fois que retentit le son magique du cor, nous dressons l’oreille comme un vieux cheval de bataille prêt à recommencer les anciens combats. […] On s’est plu à représenter dans les petits journaux et les polémiques du temps ces jeunes hommes, tous de bonne famille, instruits, bien élevés, fous d’art et de poésie, ceux-ci écrivains, ceux-là peintres, les uns musiciens, les autres sculpteurs ou architectes, quelques-uns critiques et occupés à un titre quelconque de choses littéraires, comme un ramassis de truands sordides. Ce n’étaient pas les Huns d’Attila qui campaient devant le Théâtre-Français, malpropres, farouches, hérissés, stupides ; mais bien les chevaliers de l’avenir, les champions de l’idée, les défenseurs de l’art libre ; et ils étaient beaux, libres et jeunes. Oui, ils avaient des cheveux, — on ne peut naître avec des perruques — et ils en avaient beaucoup qui retombaient en boucles souples et brillantes, car ils étaient bien peignés. Quelques-uns portaient de fines moustaches et quelques autres des barbes entières. »

Théophile Gautier, Histoire du Romantisme, 1874 (publication posthume)

La polémique entretenue par les journalistes amis de Victor Hugo trouve place dans les journaux : tout est prétexte à soutenir le nouveau théâtre. Même les revues de gastronomie s’en mêlent !

« Ce n’est pas que le gastronome doive éviter cet Hernani, auquel l’Académie, la censure et les membres du Caveau classique voudraient bien rendre tous les sifflets qui firent justice de leurs ouvrages : bien au contraire, M. Victor Hugo, créateur de l’école romantique, a travaillé pour nous donner des plaisirs nouveaux, des sensations nouvelles. Le gastronome doit être essentiellement avide des jouissances du corps et de l’esprit, d’après cette idée que les sens sont à la vie ce qu’un clavier est à la musique. Il ne suffit pas que le clavier soit harmonieux, il faut en tirer des sons avec art : donc le gastronome ne peut rester indifférent au mérite original de Victor Hugo. Laissons les bégueuleries littéraires dire qu’Hernaniest une composition qui blesse le goût ! »

Anonyme, « Digestion dramatique », Le Gastronome journal universel du goût, 14 mars 1830

Les écrivains ne sont pas tous admiratifs devant ce théâtre. Balzac a laissé une critique assez virulente de cette pièce dont il apprécie modérément les outrances. Ce qui ne l’empêche pas d’entretenir des rapports très courtois avec Victor Hugo.

« Nous résumons notre critique en disant que tous les ressorts de cette pièce sont usés ; le sujet, inadmissible, reposât-il sur un fait vrai, parce que toutes les aventures ne sont pas susceptibles d’être dramatisées ; les caractères, faux ; la conduite des personnages contraire au bon sens ; et dans quelques années les admirateurs de ce premier angle de la trilogie que M. Victor Hugo nous promet, seront bien surpris d’avoir pu se passionner pour Hernani. L’auteur nous semble jusqu’à présent meilleur prosateur que poète, et plus poète que dramaturge. M. Victor Hugo ne rencontrera jamais un trait de naturel que par hasard ; et, à moins de travaux consciencieux, d’une grande docilité aux conseils d’amis sévères, la scène lui est interdite. Entre la préface de Cromwellet le drame d’Hernani, il y a une distance énorme. Hernaniaurait tout au plus été le sujet d’une ballade. »

Honoré de Balzac, « Hernani, drame nouveau, par M. Victor Hugo. Deuxième et dernier article », Feuilleton des journaux politiques, 7 avril 1830.

Romantique : Le romantisme  est un mouvement culturel qui a traversé l’Europe à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle mais en empruntant tant de formes, en concernant des domaines si variés, qu’il est impossible d’en donner une définition stricte. On l’oppose traditionnellement au classicisme, fondé sur le respect des règles et de la tradition, sur la connaissance et la réflexion raisonnée. Le romantisme se définirait par l’expression de la sensibilité: émotion et imagination dominent, et les artistes cherchent avant tout à transmettre leurs sentiments aux spectateurs ou aux lecteurs ; le cœur l’emporte sur la raison. En France, les artistes considérés comme les meilleurs représentants du romantisme sont notamment François-René de Chateaubriand, Victor Hugo, Eugène Delacroix, Hector Berlioz ou Antoine-Louis Barye.

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