Le roman

Le roman est considéré au début du XIXe siècle comme un genre inférieur, racontant des histoires futiles, et qu’un homme sérieux n’introduira pas dans sa bibliothèque qu’il réservera à des ouvrages d’histoire, de politique ou d’économie. Le roman est accusé d’insuffler des idées dépravées aux jeunes personnes : ce sont par exemple ces histoires sentimentales qui font rêver Emma Bovary, et la conduisent à rejeter sa vie trop banale. Quand Balzac utilise le roman pour proposer une étude très approfondie des relations sociales, son projet demeure longtemps incompris. Il ne sera jamais reçu à l’Académie française qui n’admettra des romanciers que dans la seconde moitié du siècle.

« Le danger des romans et des mauvais livres est plus commun encore pour les jeunes filles, parce que ces détestables productions pénètrent partout aujourd’hui. Oh ! que de péchés, que de chutes déplorables, que de scandales, ont eu pour cause un livre imprudemment ouvert !
Une vierge qui s’exposerait à de tels périls serait à peu près assurée d’y succomber, d’y laisser son innocence un jour ou l’autre, sans parler de la faute positive et grave qui résulte d’une lecture de ce genre. Plus de goût pour l’oraison, les sacrements, les choses saintes ; l’imagination ardente, troublée de mille fantômes, l’inquiétude dans le cœur, le démon à la porte : voilà le fruit ordinaire de ces livres indignes […]
Point de théâtre, point de romans, si l’on veut rester pur. » 

Carlo Paterniani, La sainte Virginité, ou les Grands biens du trésor caché, Paris, R. Ruffet, 1864.

Que la littérature permette d’échapper à la monotonie de la vie quotidienne n’a pas échappé aux dessinateurs. Daumier  consacre au roman l’une des gravures de sa série « l’imagination ».

Honoré Daumier (1808-1879). Série « L’imagination ». Numéro 12 : « Le Roman – ils se battent pour moi… Alfred m’enlèvera… nous nous marierons ». Gravure. (Paris, musée Carnavalet, inv. CARG6550)
F. Roze (actif à Paris de 1830 à 1850), Contrastes littéraires. La prose et les vers du XIXe siècle, Lithographie extraite du Monde dramatiquen°11, 1840. (Paris, Maison de Balzac, inv. BAL521)

Grand, mince, les yeux au ciel en quête d’inspiration, le poète Alphonse de Lamartine adossé à ses œuvres (on reconnaît Les Méditations poétiques, les Harmonies poétiques et religieuseset La Chute d’un ange), offre un contraste particulièrement saisissant avec Balzac figuré à ses pieds, petit, gras et la mine réjouie. Balzac s’appuie d’une main sur les sacs remplis du courrier que lui adressent les femmes de trente ans, de l’autre sur ses œuvres (on lit les mots « Grandet », « œuvre », « scène » sur la tranche des ouvrages). Cette caricature souligne que Balzac, pour la plupart de ses contemporains, est le type même du romancier dont l’écriture prosaïque s’oppose aux envolées lyriques du poète : la valeur analytique de son œuvre n’est pas comprise.

J.J. Grandville(Jean Ignace Isidore Gérard, dit, 1803-1847), Grande course au clocher académique, Deux gravures parues de décembre 1839 à février 1840 dans La Caricature provisoire. (Paris, Maison de Balzac, inv BAL486 et BAL275)

Cette gravure présente quatre grands auteurs essayant d’entrer à l’Académie française, consécration suprême pour les écrivains. Devant la porte patiente le poète Alfred de Vigny, suivi de Victor Hugo costumé en pape littéraire avec une plume pour crosse et la cathédrale Notre-Dame de Paris, titre de son roman le plus connu, en guise de tiare. Vient ensuite Alexandre Dumas, reconnaissable à son teint sombre, fuyant devant les fantômes des écrivains qui le poursuivent en réclamant leurs manuscrits –allusion aux emprunts commis par cet auteur aux grandes œuvres de la littérature. Il précède Balzac, soutenu et couronné par des femmes de quarante ans ou plus (du roman La Femme de trente ans) et surmontant les cœurs dont il a su trouver la clef. Les deux poètes, Victor Hugo et Alfred de Vigny, furent finalement admis à l’Académie française où n’entrèrent jamais les romanciers Balzac et Dumas.

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