L’Histoire Naturelle, immense encyclopédie répertoriant les espèces animales connues à la fin du 18ème siècle, est le travail d’une équipe de naturalistes, biologistes et illustrateurs menée par un homme d’exception : Buffon. Sa classification des espèces, ses comparaisons anatomiques, vont fonder les bases des sciences naturelles modernes. Ses suiveurs tel Cuvier, Geoffroy-Saint-Hilaire et Darwin s’appuieront sur cette masse de connaissances pour développer leurs théories de l’évolution.
Observer, inventorier, décrire, classifier. Les écrivains ne sont pas indifférents à ce nouveau regard porté sur le monde et Balzac moins que tout autres. En effet, sa Comédie Humainen’est pas seulement le regroupement de romans où se croisent des personnages récurrents, c’est un projet bien plus ambitieux. Il s’agit de distinguer et classifier les espèces sociales, de décrire l’homme sous toutes ses facettes interagissant avec un biotope précis qui n’est autre que la société de son temps. Ainsi le soldat, l’ouvrier, le poète, le prêtre sont comme le lion, l’âne, le corbeau ou la brebis, ils vivent et meurent en espèces distinctes régies par les lois de leur milieu naturel. Balzac reprend aussi bien le principe de description des espèces de Buffon que leur classification établie par Cuvier. Il structure ainsi son œuvre en trois sections : les Études de mœurs, les Études philosophiqueset les Études analytiques. Les personnages sont alors les spécimens d’une encyclopédie de la société humaine. Ils se débattent sous le jeu combiné des influences externes et des causes internes, sous la loupe de l’écrivain-entomologiste à la plume acérée.
« Cuvier n’est-il pas le plus grand poète de notre siècle ? Lord Byron a bien reproduit par des mots quelques agitations morales, mais notre immortel naturaliste a reconstruit des mondes avec des os blanchis, a rebâti comme Cadmus des cités avec des dents, a repeuplé mille forêts de tous les mystères de la zoologie avec quelques fragments de houille, a retrouvé des populations de géants dans le pied d’un mammouth. Ces figures se dressent, grandissent et meublent des régions en harmonie avec leurs statures colossales. Il est poète avec des chiffres, il est sublime en posant un zéro près d’un sept.»
Honoré de Balzac, La Peau de Chagrin, 1831
« Si Buffon a fait un magnifique ouvrage en essayant de représenter dans un livre l’ensemble de la zoologie, n’y avait-il pas une œuvre de ce genre à faire pour la Société ? Mais la Nature a posé, pour les variétés animales, des bornes entre lesquelles la Société ne devait pas se tenir. Quand Buffon peignait le lion, il achevait la lionne en quelques phrases ; tandis que dans la Société la femme ne se trouve pas toujours être la femelle du mâle. Il peut y avoir deux êtres parfaitement dissemblables dans un ménage. La femme d’un marchand est quelquefois digne d’être celle d’un prince, et souvent celle d’un prince ne vaut pas celle d’un artiste. L’État Social a des hasards que ne se permet pas la Nature, car il est la Nature plus la Société. La description des Espèces Sociales était donc au moins double de celle des Espèces Animales, à ne considérer que les deux sexes. Enfin, entre les animaux, il y a peu de drames, la confusion ne s’y met guère ; ils courent sus les uns aux autres, voilà tout. Les hommes courent bien aussi les uns sur les autres ; mais leur plus ou moins d’intelligence rend le combat autrement compliqué. Si quelques savants n’admettent pas encore que l’Animalité se transborde dans l’Humanité par un immense courant de vie, l’épicier devient certainement pair de France, et le noble descend parfois au dernier rang social. Puis, Buffon a trouvé la vie excessivement simple chez les animaux. L’animal a peu de mobilier, il n’a ni arts ni sciences ; tandis que l’homme, par une loi qui est à rechercher, tend à représenter ses mœurs, sa pensée et sa vie dans tout ce qu’il approprie à ses besoins.[…] Ainsi l’œuvre à faire devait avoir une triple forme : les hommes, les femmes et les choses, c’est-à-dire les personnes et la représentation matérielle qu’ils donnent de leur pensée ; enfin l’homme et la vie. »
Honoré de Balzac, Avant-propos à la Comédie Humaine, 1842