La Conciergerie, le Châtelet, Saint-Lazare, La Force, Sainte-Pélagie, La Roquette, des noms qui n’évoquent plus rien au promeneur parisien du 21èmesiècle. À l’époque où Balzac décrit Paris, ces lieux faisaient frémir, il s’agissait de prisons.
Tours et forteresses massives de l’Ancien Régime ou bâtiments construits spécialement à cette fin, les prisons reçoivent une foule de personnes, détenues pour les motifs les plus divers. Aux côtés des assassins et des voleurs se trouvent des prostituées, de jeunes fugueurs, des mendiants, des malades mentaux, des endettés. Balzac connut lui-même l’emprisonnement pour avoir refusé de servir dans la garde nationale. Le nom de sa geôle n’est pas commun : l’hôtel des haricots !
« Le monde des filles, des voleurs et des assassins, les bagnes et les prisons comportent une population d’environ soixante à quatre-vingt mille individus, mâles et femelles. Ce monde ne saurait être dédaigné dans la peinture de nos mœurs, dans la reproduction littérale de notre état social. La justice, la gendarmerie et la police offrent un nombre d’employés presque correspondant, n’est-ce pas étrange ? Cet antagonisme de gens qui se cherchent et qui s’évitent réciproquement constitue un immense duel, éminemment dramatique, esquissé dans cette étude. Il en est du vol et du commerce de fille publique comme du théâtre, de la police, de la prêtrise et de la gendarmerie. Dans ces six conditions, l’individu prend un caractère indélébile. Il ne peut plus être que ce qu’il est. »
Honoré de Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes, 1847.
À cette époque, pour une personne arrêtée en pleine rue, l’incarcération commence par un court séjour au Dépôt de la préfecture de police, un endroit étrangement neutre où s’entassent la foule hétéroclite des prévenus de tous bords. Puis le jugement a lieu et le condamné est transféré dans une des maisons d’arrêt parisiennes, chacune ayant sa « spécialité » : les femmes à Saint-Lazare, les mineurs à La Roquette. Pour les délits courants, la condamnation peut aller de quelques mois à plusieurs années. Pour les autres, plus graves, plus politiques, c’est la peine de mort ou le bagne.
« Le Bagne, ce symbole de l’audace qui supprime le calcul et la réflexion, à qui tous les moyens sont bons, qui n’a pas l’hypocrisie de l’arbitraire, qui symbolise hideusement l’intérêt du ventre affamé, la sanglante, la rapide protestation de la Faim ! N’était-ce pas l’attaque et la Défense ? le vol et la Propriété ? la question terrible de l’Etat social et de l’Etat naturel vidée dans le plus étroit espace possible ? Enfin c’était une terrible, une vivante image de ces compromis antisociaux que font les trop faibles représentants du pouvoir avec de sauvages émeutiers. »
Honoré de Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes, 1847.
Le bagne est un lieu à part avec sa dureté et ses règles. Règles que l’on suit, que l’on subit ou que l’on fait subir. Le bagnard connaitra les fers si lourds qu’ils marquent sa démarche pour toujours, l’exil dans les contrées les plus hostiles, l’humiliation face au peuple qui regarde avec une curiosité morbide les « monstres » enchaînés qui attendent de partir au loin, et enfin la violence, permanente, seul mode de survie. Le bagnard s’endurcira, se résignera ou mourra. On réchappe rarement du bagne, les peines sont longues, les années interminables. Ceux qui parviennent à s’enfuir font des personnages de romans profonds, magnifiques de complexité. Le Jean Valjean de Hugo, le Vautrin de Balzac, aussi noirs que flamboyants, prêts à tout, cherchent la rédemption ou la vengeance et fuient perpétuellement leur passé de bagnard, qui ne s’efface pourtant jamais.