La spéculation sur les sociétés industrielles devient un thème de plaisanterie inépuisable pour les humoristes et les caricaturistes, qui prennent plaisir à exposer les déconvenues des naïfs séduits par la perspective d’une fortune rapide, et proprement ruinés par des hommes d’affaire véreux. Daumier présente ici l’agent de change indélicat, qui majore ou minore les prix d’achat selon la tête de ses clients.
Henry Monnier compare dans la série « Jadis et aujourd’hui » les mœurs de l’Ancien Régime et celles de ses contemporains. Ces deux gravures mettent en balance le traitement des banqueroutiers, autrefois exposés au pilori, et maintenant installés dans de confortables prisons où ils se délectent de repas fins pris en compagnie de jolies femmes. Si la banqueroute est redoutée par les commerçants honnêtes, elle devient chez certains spéculateurs un moyen de faire fortune au détriment de ceux qui leur ont fait confiance.
Nucingen, ce loup-cervier de la finance, est l’un des personnages les plus complexes de La Comédie humaine. Ce banquier alsacien bâtit sa fortune sur des liquidations successives, en simulant une faillite pour racheter ses valeurs à bas prix. Si Balzac ne maîtrise pas tous les mécanismes financiers, il a parfaitement compris que des manœuvres frauduleuses habilement conduites pouvaient enrichir leurs auteurs.
« – Blondet vous a dit en gros les deux premières liquidations de Nucingen, voici la troisième en détail, reprit Bixiou. Dès la paix de 1815, Nucingen avait compris ce que nous ne comprenons qu’aujourd’hui : que l’argent n’est une puissance que quand il est en quantités disproportionnées. Il jalousait secrètement les frères Rothschild. Il possédait cinq millions, il en voulait dix ! Avec dix millions, il savait pouvoir en gagner trente, et n’en aurait eu que quinze avec cinq. Il avait donc résolu d’opérer une troisième liquidation ! Ce grand homme songeait alors à payer ses créanciers avec des valeurs fictives, en gardant leur argent. Sur la place, une conception de ce genre ne se présente pas sous une expression si mathématique. Une pareille liquidationconsiste à donner un petit pâté pour un louis d’or à de grands enfants qui, comme les petits enfants d’autrefois, préfèrent le pâté à la pièce, sans savoir qu’avec la pièce ils peuvent avoir deux cents pâtés. »
Honoré de Balzac, La Maison Nucingen, 1838
Saisi par le démon de la bourse, Balzac investit dans les actions du chemin de fer du Nord la totalité de l’argent que lui a confié sa maîtresse, Madame Hanska, contre l’avis de son ami James de Rothschild. Le cours baisse rapidement, ce qui place le romancier dans une situation difficile envers sa « blanche et grasse volupté d’amour ».
Maintenant, mon Évelin, nos affaires vont mal. La baisse du Nord est effrayante et inexpliquée. Cependant, il y a emprunt en Angleterre pour l’Irlande, emprunt en Prusse, emprunt en Autriche. Que devenir ? Ah ! si j’avais vendu à 742, je pourrais racheter à 690 ! Juge 52 fr. sur 50 actions, c’est 2500 fr. de gagnés. Je pensais à partir, c’était impossible, il faut être là pour cela, il faut toucher, veiller, etc. Et nos moutons qui brûlent ! Allons adieu, blanche et grasse volupté d’amour…
Honoré de Balzac, lettre à Mme Hanska, 18 octobre 1846