Dandysme

« It’s my folly the making of me ». Ni devise, ni mot d’ordre mais raison de vivre de Beau Brummell (1778-1840) figure anglomane de cet type d’être à part qui en France eut d’abord ses Incroyables et ses Muscadins puis au cours de la première moitié du XIXe siècle, ses Lions, suivis d’une horde féline de Tigres, Panthères, Lionnes et lionceaux, toutes figures hors norme exprimant les derniers éclats d’une résistance aristocratique absolue contre l’utilitarisme bourgeois pétri de convenances sociales de plus en plus restrictives.

Il joue sa vie sur un mot ou un carré d’étoffe. Toujours à compenser une histoire personnelle insatisfaisante, souvent fils de peu, sa présence irrésistible par la création permanente de lui-même allie la surprise à l’inquiétude, la crainte, ce sel de la grâce,  avec un  l’on-ne-sait-quoi de mystère poétique dont on ne comprend ni le comment, ni le pourquoi mais qui convainc toujours par une élégance qui subjugue. D’un faible instinct de conservation, il peut jouer sa vie sur la table des futilités avec le même sang-froid qu’il la donnerait pour sauver le monde. Il attise les désirs par son goût du gouffre et du souffre, irrésistible dans une perte qu’il fait toujours attendre. Au spectacle de lui-même, il ne se dédit ni ne recule jamais. N’appartenant à aucune classe, il les surpasse toutes.

Demi-dieu proche de l’œuvre d’art, il ne vit que pour s’arracher au commun de l’humanité. Question de vie ou de mort. Son paradoxe est de se rendre remarquable alors que le jugement d’autrui l’indiffère sauf quand il lui garantit, en passant, une image de démarque, plutôt pour de bonnes raisons, le crime pouvant à l’occasion convenir, à condition d’en faire quelque chose. Pierre-François Lacenaire (1803-1836), élégant jusqu’au bout des gants, ne fit-il pas du sang des autres son œuvre in extrémis ?

Créature éphémère, le Dandy meurt jeune, du moins au figuré. Futile aux yeux du profane, cet amant de l’idéal qui respire une ironie d’apparat, à vivre trop longtemps risquerait l’usure de ses charmes qui finiraient par n’exprimer plus que dédain, cynisme et sarcasmes rendus sentencieux après une époque où sa jeunesse vive et altière par ses extravagances dépassait sa névrose de paraître.

Charles Bétout (1865-1945). « Maquette de costume pour le baron de Sigognac dans le rôle du « Capitaine Fracasse ». Fusain, aquarelle et gouache. 1930-1940. Paris, Maison de Balzac. Dimensions : 30 x 25 cm
« L’Artiste » : physionomie des modes, robe de chambre de Humann. Gavarni. Paris, musée Balzac, inv.BAL 0884).

Traité de la vie élégante
Paris : La Mode, 2 octobre-6 novembre 1830 (cinq articles)

[Partie] XXXIX
Le Dandysme est une hérésie de la vie élégante.

« En effet le Dandysme est une affectation de la mode. En se faisant Dandy, un homme devient un meuble de boudoir, un mannequin extrêmement ingénieux qui peut se poser sur un cheval ou sur un canapé, qui mord ou tète habilement le bout de sa canne ; mais un être pensant ?… jamais. L’homme qui ne voit que la mode dans la mode est un sot. La vie élégante n’exclut ni la pensée, ni la science ; elle les consacre. Elle ne doit pas apprendre seulement à jouir du temps, mais à l’employer dans un ordre d’idées extrêmement élevé.
[…]
Ne connaissons-nous pas tous un aimable égoïste qui possède le secret de nous parler de lui sans trop nous déplaire ? Chez lui, tout est gracieux, frais, recherché, poétique même. Il se fait envier. Tout en vous associant à ses jouissances, à son luxe, il semble craindre votre manque de fortune. Son obligeance, tout en discours, est une politesse perfectionnée. Pour lui, l’amitié n’est qu’un thème dont il connait admirablement bien la richesse, et dont il mesure les modulations au diapason de chaque personne.
Sa vie est empreinte d’une personnalité perpétuelle, dont il obtient le pardon, grâce à ses manières : artiste avec les artistes, vieux avec les vieillards, enfant avec les enfants, il séduit sans plaire ; car il nous meut dans son intérêt et nous amuse par calcul. Il nous garde et nous câline parce qu’il s’ennuie ; et si nous nous apercevons aujourd’hui que nous avons été joués, demain nous irons encore nous faire tromper…  Cet homme est la grâce essentielle.
Mais il est une personne dont la voix harmonieuse imprime au discours un charme également répandu dans ses manières. Elle sait et parler et se taire ; s’occupe de vous avec délicatesse ; ne manie que des sujets de conversation convenables, ses mots sont heureusement choisis ; son langage est pur, sa raillerie caresse et sa critique ne blesse pas. Loin de contredire avec l’ignorante assurance d’un sot, elle semble chercher, en votre compagnie, le bon sens ou la vérité. Elle ne disserte pas plus qu’elle ne dispute, elle se plaît à conduire une discussion, qu’elle arrête à propos. D’humeur égale, son air est affable et riant, sa politesse n’a rien de forcée, son empressement n’est pas servile ; elle réduit le respect à n’être plus qu’une ombre douce ; elle ne vous fatigue jamais et vous laisse satisfait d’elle et de vous. Entraîné dans sa sphère par une puissance inexplicable, vous retrouvez son esprit de bonne grâce empreint sur les choses dont elle s’environne : tout y flatte la vue, et vous y respirez comme l’air d’une patrie. Dans l’intimité, cette personne vous séduit par un ton naïf. Elle est naturelle. Jamais d’effort, de luxe, d’affiche. Ses sentiments sont simplement rendus parce qu’ils sont vrais. Elle est franche sans offenser aucun amour-propre. Elle accepte les hommes comme Dieu les a fait ; pardonnant aux défauts et aux ridicules ; concevant tous les âges et ne s’irritant de rien, parce qu’elle a le tact de tout prévoir. Elle oblige avant de consoler ; elle est tendre et gaie, aussi l’aimerez-vous irrésistiblement. Vous la prenez pour type et lui vouez un culte.Cette personne a la grâce divine et concomitante.

[…]
Ce pouvoir magnétique est le grand but de la vie élégante. Nous devons tous essayer de nous en emparer ; mais la réussite est toujours difficile, car la cause du succès est dans une belle âme. Heureux ceux qui l’exercent, il est si beau de voir tout nous sourire, et la nature et les hommes… »

Le Cabinet des AntiquesLa Comédie humaine.
Œuvres complètes de M. de Balzac
Paris :chez Furne, Dubochet et Cie, Hetzel et Paulin, 1844
7èmeVolume, Études de mœurs, tome III des Scènes de la vie de province

172…Chesnel écrivit aussi. Dans toutes les pages éclatait l’adulation à laquelle on avait habitué ce malheureux enfant  [Victurnien d’Esgrignon]. Mademoiselle Armande semblait être de moitié dans les plaisirs de madame de Maufrigneuse. Heureux de l’approbation de sa famille, le jeune comte entra vigoureusement dans le sentier périlleux et coûteux du dandysme. Il eut cinq chevaux, il fut modéré : de Marsay en avait quatorze. Il rendit au vidame, à de Marsay, à Rastignac, et même à Blondet le dîner reçu. Ce dîner coûta cinq cents francs. Le provincial fut fêté par ces messieurs, sur la même échelle, grandement. Il joua beaucoup, et malheureusement, au whist, le jeu à la mode. Il organisa son oisiveté de manière à être occupé. Victurnien alla tous les matins de midi à trois heures chez la duchesse ; de là, il la retrouvait au bois de Boulogne, lui à cheval, elle en voiture. Si ces deux charmants partenaires faisaient quelques parties à cheval, elles avaient lieu par de belles matinées. Dans la soirée, le monde, les bals, les fêtes, les spectacles se partageaient les heures du jeune comte. Victurnien brillait partout car partout il jetait les perles de son esprit, il jugeait par des mots profonds les hommes, les choses, les événements : vous eussiez dit d’un arbre à fruit qui ne donnait que des fleurs. Il mena cette lassante vie où l’on dissipe plus d’âme encore peut-être que d’argent, où s’enterrent les plus beaux talents, où meurent les plus incorruptibles probités, où s’amollissent les volontés les mieux trempées.

La Peau de chagrin
La Comédie humaine. Œuvres complètes de M. de Balzac
Paris :chez Furne, Dubochet et Cie, Hetzel et Paulin, 1845
14èmevolume, tome I des Études philosophiques

[Première partie :] LE TALISMAN

« 55. Oui, les cachemires, les vélins, les parfums, l’or, la soie, le luxe, tout ce qui brille, tout ce qui plaît ne va bien qu’à la jeunesse…
56. — Mais, s’écria Raphaël, le bonheur ne vient-il donc pas de l’âme ?
— Eh ! bien, reprit Aquilina, n’est-ce rien que de se voir admirée, flattée, de triompher de toutes les femmes, même des plus vertueuses, en les écrasant par notre beauté, par notre richesse ? D’ailleurs nous vivons plus en un jour qu’une bonne bourgeoise en dix ans, et alors tout est jugé. 
— Une femme sans vertu n’est-elle pas odieuse ? dit Emile à Raphaël. 
Euphrasie leur lança un regard de vipère, et répondit avec un inimitable accent d’ironie :
— La vertu ! nous la laissons aux laides et aux bossues.
« 

Illusions perdues. Deuxième partie : Un grand homme de province à Paris
La Comédie humaine. Œuvres complètes de M. de Balzac
Paris :chez Furne, Dubochet et Cie, Hetzel et Paulin, 1843
8èmevolume, tome IV des Scènes de la vie de province

« 304-Ainsi Lucien reparut triomphant là où, quelques mois auparavant, il était lourdement tombé. Il se produisit au foyer donnant le bras à Merlin et à Blondet, regardant en face les dandies qui naguère l’avaient mystifié. Il tenait Châtelet sous ses pieds ! De Marsay, Vandenesse, Manerville, les lions de cette époque, échangèrent alors quelques airs insolents avec lui. Certes, il avait été question du beau, de l’élégant Lucien dans la loge de madame d’Espard, où Rastignac fit une longue visite, car la marquise et madame de Bargeton lorgnèrent Coralie. Lucien excitait-il un regret dans le coeur de madame de Bargeton ? Cette pensée préoccupa le poète : en voyant la Corinne d’Angoulême, un désir de vengeance agitait son coeur comme au jour où il avait essuyé le mépris de cette femme et de sa cousine aux Champs-Elysées.
326-… Comme la plupart des journalistes, Lucien vécut au jour le jour, dépensant son argent à mesure qu’il le gagnait, ne songeant point aux charges périodiques de la vie parisienne, si écrasantes pour ces bohémiens. Sa mise et sa tournure rivalisaient avec celles des dandies les plus célèbres. Coralie aimait, comme tous les fanatiques, à parer son idole ; elle se ruina pour donner à son cher poète cet élégant mobilier des élégants qu’il avait tant désiré pendant sa première promenade aux Tuileries. Lucien eut alors des cannes merveilleuses, une charmante lorgnette, des boutons en diamants, des anneaux pour ses cravates du matin, des bagues à la chevalière, enfin des gilets mirifiques en assez grand nombre pour pouvoir assortir les couleurs de sa mise. Il passa bientôt dandy. Le jour où il se rendit à l’invitation du diplomate allemand, sa métamorphose excita une sorte d’envie contenue chez les jeunes gens
— 327 — qui s’y trouvèrent, et qui tenaient le haut du pavé dans le royaume de la fashion, tels que de Marsay, Vandenesse, Ajuda-Pinto, Maxime de Trailles, Rastignac, le duc de Maufrigneuse, Beaudenord, Manerville, etc. Les hommes du monde sont jaloux entre eux à la manière des femmes. La comtesse de Montcornet et la marquise d’Espard, pour qui le dîner se donnait, eurent Lucien entre elles, et le comblèrent de coquetteries. « 

Le Député d’ArcisLa Comédie humaine.
Œuvres complètes de M. de Balzac
Paris :chez Furne, Dubochet et Cie, Hetzel et Paulin, 185.
18èmevolume : Roman inachevé. (Rattaché à La Comédie humaine, édition post-mortem dite du Furne corrigé)

PREMIERE PARTIE: L’ELECTION

CHAPITRE XVI : CHEZ MADAME D’ESPARD

« 470-…De Marsay mort, le comte Maxime de Trailles était retombé dans sa vie antérieure. Il allait jouer tous les ans aux Eaux, il revenait passer l’hiver à Paris ; mais s’il recevait quelques sommes importantes, venues des profondeurs de certaines caisses extrêmement avares, cette demi-solde due à l’homme intrépide qu’on — 471 — pouvait employer d’un moment à l’autre, et confident des mystères de la contre-diplomatie, était insuffisante pour les dissipations d’une vie aussi splendide que celle du roi des dandies, du tyran de quatre ou cinq clubs parisiens. Aussi le comte Maxime avait-il souvent des inquiétudes sur la question financière. Sans propriété, il n’avait jamais pu consolider sa position en se faisant nommer député ; puis, sans fonctions ostensibles, il lui était impossible de mettre le couteau sous la gorge à quelque ministère pour se faire nommer pair de France. Or, il se voyait gagné par le temps, car ses profusions avaient entamé sa personne aussi bien que ses diverses fortunes. Malgré ses beaux dehors, il se connaissait et ne pouvait se tromper sur lui-même, il pensait à faire une fin, à se marier. « 

Histoire des Treize. II La Duchesse de langeais
La Comédie humaine. Œuvres complètes de M. de Balzac
Paris :chez Furne, Dubochet et Cie, Hetzel et Paulin, 1843
9ème  volume, tome I des Scènes de la vie parisienne

CHAPITRE II
L’AMOUR DANS LA PAROISSE DE SAINT-THOMAS D’AQUIN

« 149…La duchesse, déjà frappée par l’aspect de ce poétique personnage, le fut encore bien plus en apprenant qu’elle voyait en lui le marquis de Montriveau, de qui elle avait rêvé pendant la nuit. S’être trouvée dans les sables brûlants du désert avec lui, l’avoir eu pour compagnon de cauchemar, n’était-ce pas chez une femme de cette nature un délicieux présage d’amusement ? Jamais homme n’eut mieux qu’Armand la physionomie de son caractère, et ne pouvait plus justement intriguer les regards. Sa tête, grosse et carrée, avait pour principal trait caractéristique une énorme et abondante chevelure noire qui lui enveloppait la figure de manière à rappeler parfaitement le général Kléber auquel il ressemblait par la vigueur de son front, par la coupe de son visage, par l’audace tranquille des yeux, et par l’espèce de fougue qu’exprimaient ses traits saillants. Il était petit, large de buste, musculeux comme un lion.
— 150 — Quand il marchait, sa pose, sa démarche, le moindre geste trahissait et je ne sais quelle sécurité de force qui imposait, et quelque chose de despotique. Il paraissait savoir que rien ne pouvait s’opposer à sa volonté, peut-être parce qu’il ne voulait rien que de juste. Néanmoins, semblable à tous les gens réellement forts, il était doux dans son parler, simple dans ses manières, et naturellement bon. Seulement toutes ces belles qualités semblaient devoir disparaître dans les circonstances graves où l’homme devient implacable dans ses sentiments, fixe dans ses résolutions, terrible dans ses actions. Un observateur aurait pu voir dans la commissure de ses lèvres un retroussement habituel qui annonçait des penchants vers l’ironie. « 

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