La courtisane

« La comtesse Foedora, dans La Peau de chagrin ». Dessin de Charles Huard (1874-1965) et gravure de Pierre Gusman (1862-1942) pour l’édition Conard des Oeuvres complètes de Balzac (1910-1940). Moulage en cuivre par galvanosplastie doublé de plomb et fixé sur une plaque de chêne. 1910-1915. Paris, Maison de Balzac.

Plus courtisée qu’elle ne courtise, la Courtisane par ce qu’elle laisse entrevoir et ce qu’elle représente du haut de sa position n’a qu’une devise : « Ne rien demander, tout obtenir ». À la différence du Dandy qui en dépit ou à cause de son raffinement d’ostentation se met par nature en avant, « se pro-stitue », la Lionne, de son autre nom, toujours prête à la cruauté pourvu qu’il y ait bénéfice, demeure d’autant plus sur la réserve de la rareté qui fait son prix.

Contrairement à la Panthère qui règne sur les boulevards sans pourtant être elle-même fille des rues, la courtisane se contente de les traverser pour se rendre d’un salon à l’autre, d’une loge d’opéra à celle d’un théâtre, cadres dignes de son état splendide, toujours en vue mais à distance. On ne lui connait qu’une vertu, l’absence absolue de tout écart et une raison de glace. Elle cultive la mesure par calcul, elle qui n’est que transfuge et mystification, toujours prête à promettre une part d’absolu, d’idéal, une grâce fugitive mais immortelle, un tout possible jamais atteint, car elle sait bien qu’il ne faut jamais tout donner pour pouvoir entretenir de quoi se faire entretenir. Car la courtisane accumule mais avec l’apparence de la respectabilité jusqu’à incarner une femme triomphante dont on n’aurait pas l’idée de discuter les prérogatives.

La courtisane ne chasse ni les cœurs (sauf quand ils sont d’or), ni les âmes, mais les positions, les pouvoirs, les richesses à la fois investissements et profits. Sa distinction de majesté est sa plus-value, sublime faire-valoir de qui s’attache à son sillage. Rare trophée que l’on se dispute, elle règne sur les vanités dont elle peuple sa cour, écartant qui a le tort de manquer de crédit, quel qu’il soit. Vestale de son apothéose sociale, parfois au prix d’efforts monstrueux, elle sait que tout vrai sentiment humain lui est interdit faute de se perdre. Aimer serait se trahir, se dissoudre et sans doute mourir. Courtisée par les hommes, elle est parfois aimée des femmes. Malheur à celle qui s’attachera à tel beau poète où à tel gandin désargenté.

Janet-Lange (1815-1872). La Peau de Chagrin pour l’édition Delloye et Lecou (1838). « J’aperçus une femme d’environ vingt deux ans » (planche X). Illustration de l’œuvre d’Honoré de Balzac (1799-1850). Dessin à la mine de plomb et réhauts d’aquerelle et de blanc de plomb. 1838. Paris, Maison de Balzac.

Pragmatique à la tête et au cœur froid, elle mesure à chaque instant l’utilité de ses choix, son origine parfois misérable lui rappelant la précarité de l’existence. Son seul salut demeure l’intérêt.  Elle simule et joue sa vie sur celle des autres, l’esprit aiguisé, cultivé même, éprise de l’art dans son goût pour la perfection pourvu qu’il serve sa mise en scène. À l’égal du Dandy, elle fait de son physique sa création, premier ornement captant de quoi entretenir les feux du faste de l’illusion,  au cours de l’or et du diamant. L’apparence des convenances a son prix tout comme son salut.

F. Grenier. La Peau de Chagrin pour l’édition Delloye et Lecou (1838). « J’écartai la soie criarde des rideaux » (planche XI). Illustration de l’œuvre d’Honoré de Balzac (1799-1850). Dessin à la mine de plomb. 1838. Paris, Maison de Balzac.
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