Les restaurants et la gastronomie

La province gourmande n’est que tardivement reconnue, aussi, quand la question se pose de savoir où bien manger, ne s’applique-t-elle d’abord qu’à Paris. De nombreux restaurants acquièrent une grande célébrité : Véry, les Frères provençaux ou le Café de Paris sont réputés, et les romanciers n’hésitent pas à y situer de très grands repas ; quelques gastronomes ont laissé le souvenir ému des pâtés chauds aux cailles et au vin de Malaga « dignes de la table des dieux » servis au Rocher de Cancale, un restaurant largement fréquenté par l’aristocratie du faubourg Saint-Germain. D’autres restaurants de qualité très variable sont répartis dans tout Paris. Les moins chers proposent à une clientèle d’ouvriers ou d’étudiants désargentés une pitance dont le seul mérite est d’atténuer la faim.

« Les restaurants de premier ordre ont fait dans une autre partie des progrès notables : pour les dîners qu’ils donnaient autrefois, il y avait une routine de carton et de fleurs artificielles dont ils ont secoué le joug, et leurs repas, maintenant rehaussés par tout ce qui peut leur donner du relief, sont franchement entrés dans la voie des habitudes de la vie confortable et élégante. Sauf des différences ineffaçables, nous n’hésitons pas à placer, au-dessus des meilleures tables de la ville, les dîners des salons de nos premiers restaurateurs. Un exemple mettre cette vérité dans tout son jour. C’était au Rocher de Cancale. On commença par six petites huîtres de Marennes et autant de cuillerées de potage qui neutralisent la froide sensation des huîtres ; on essaya plusieurs potages, le verre de madère suivit. Le premier service fut digne du début. L’admiration du narrateur s’exprime ainsi : « Ce n’est pas que le nombre des plats fût grand ; mais ils étaient si bien  gradués, et la façon, la mine, la fraîcheur, la force et la saveur étaient si excellentes, que tout le monde dut les admirer…  On nous servit dans une argenterie d’un goût parfait et chaude, de plaqué anglais, et à la lueur de bougies brillantes. » Il cite ensuite quelques mets exquis, puis il s’écrie « Le reste du petit et magnifique dîner fut parfait. Si vous voulez en avoir une idée, figurez-vous M. de Talleyrand ou Laurent de Médicis donnant à dîner à neuf gourmands de ses amis. » »

Eugène Briffault, Paris à table, Paris, Hetzel, 1846

Le restaurant Flicoteaux (restaurant pour étudiants, quartier latin) :

« Ce restaurant est un atelier avec ses ustensiles, et non la salle de festin avec son élégance et ses plaisirs : chacun en sort promptement. Au dedans, les mouvements intérieurs sont rapides. Les garçons y vont et viennent sans flâner, ils sont tous occupés, tous nécessaires. Les mets sont peu variés. La pomme de terre y est éternelle, il n’y aurait pas une pomme de terre en Irlande, elle manquerait partout, qu’il s’en trouverait chez Flicoteaux. Elle s’y produit depuis trente ans sous cette couleur blonde affectionnée par Titien, semée de verdure hachée, et jouit d’un privilège envié par les femmes : telle vous l’avez vue en 1814, telle vous la trouverez en 1840. Les côtelettes de mouton, le filet de bœuf sont à la carte de cet établissement ce que les coqs de bruyère, les filets d’esturgeon sont à celle de Véry, des mets extraordinaires qui exigent la commande dès le matin. La femelle du bœuf y domine, et son fils y foisonne sous les aspects les plus ingénieux. Quand le merlan, les maquereaux donnent sur les côtes de l’Océan, ils rebondissent chez Flicoteaux. Là, tout est en rapport avec les vicissitudes de l’agriculture et les caprices des saisons françaises. On y apprend des choses dont ne se doutent pas les riches, les oisifs, les indifférents aux phases de la nature. »

Balzac, Illusions perdues, Paris, H. Souverain, 1839

Gravure d’Allen d’après Eugène Lami, Intérieur d’un restaurant, illustration pour Un hiver à Paris, par Jules Janin, 1848 (Roger Viollet, inv.RVB-05555)

Les tables largement espacées, le riche décor, les corbeilles de fruits au centre de la salle, indiquent la richesse de ce restaurant dans lequel les consommateurs viennent en famille.

Honoré Daumier, Robert Macaire au restaurant, lithographie colorée, 1836-1838. (Paris, Maison de Balzac, inv. BAL95-2-19)

Avec le développement des restaurants apparaissent au XIXe siècle différents types de profiteurs, depuis le pique-assiette qui s’invite dans les repas de noce, jusqu’au filou qui refuse de payer la note qui lui est présentée. La grivèlerie devient ainsi un thème apprécié des caricaturistes. Ici, Robert Macaire, incarnation pour Daumier de l’affairiste sans scrupule et du petit escroc, explique avoir oublié sa bourse et propose au garçon de laisser en gage le piteux chapeau de son acolyte.

Engelmann. « Cinq heures du soir – dîner au rocher de Cancale ». Lithographie. (Paris, musée Carnavalet, inv.CAR-MOEURS PC 080-1).

Quelques restaurants proposent à une clientèle fortunée des cabinets privés avec un service à la demande. Ces pièces éloignées des regards et toujours pourvues d’un large canapé alimentent tous les fantasmes, et elles occupent une place importante tant dans la littérature que dans l’imagerie du début du XIXe siècle. Le dessinateur évoque ici une scène de séduction au Rocher de Cancale, l’un des restaurants les plus renommés de Paris.

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