Habiter Paris au XIXe siècle n’est pas forcément chose simple. Si l’on construit beaucoup, la grande ville attire nombre de personnes en quête de travail et désargentées. Les personnes les plus fortunées jouissent de somptueux hôtels particuliers agrémentés de grands jardins, mais la plupart des familles vivent dans une ou deux pièces au plus. Les appartements les plus recherchés se trouvent au premier étage et plus l’on monte, plus le niveau de richesse s’abaisse. Cette sociologie des étages a donné lieu à de nombreuses représentations comiques.
« Le premier étage contenait les deux meilleurs appartements de la maison. Madame Vauquer habitait le moins considérable, et l’autre appartenait à madame Couture, veuve d’un Commissaire-Ordonnateur de la République française. Elle avait avec elle une très-jeune personne, nommée Victorine Taillefer, à qui elle servait de mère. La pension de ces deux dames montait à dix-huit cents francs. Les deux appartements du second étaient occupés, l’un par un vieillard nommé Poiret ; l’autre, par un homme âgé d’environ quarante ans, qui portait une perruque noire, se teignait les favoris, se disait ancien négociant, et s’appelait monsieur Vautrin. Le troisième étage se composait de quatre chambres, dont deux étaient louées, l’une par une vieille fille nommée mademoiselle Michonneau ; l’autre, par un ancien fabricant de vermicelles, de pâtes d’Italie et d’amidon, qui se laissait nommer le Père Goriot. Les deux autres chambres étaient destinées aux oiseaux de passage, à ces infortunés étudiants qui, comme le père Goriot et mademoiselle Michonneau, ne pouvaient mettre que quarante-cinq francs par mois à leur nourriture et à leur logement ; mais madame Vauquer souhaitait peu leur présence et ne les prenait que quand elle ne trouvait pas mieux : ils mangeaient trop de pain. En ce moment, l’une de ces deux chambres appartenait à un jeune homme venu des environs d’Angoulême à Paris pour y faire son Droit, et dont la nombreuse famille se soumettait aux plus dures privations afin de lui envoyer douze cents francs par an. […] Au-dessus de ce troisième étage étaient un grenier à étendre le linge et deux mansardes où couchaient un garçon de peine, nommé Christophe, et la grosse Sylvie, la cuisinière. »
Honoré de Balzac, Le Père Goriot, 1834
Au début du XIXe siècle, les peintres se désintéressent de l’environnement quotidien que l’on apercevait encore en 1820 dans les scènes de genre, et il faut attendre le mouvement réaliste, dans la seconde moitié du siècle, pour retrouver des peintures qui évoquent l’intérieur des Parisiens. Ce sont donc les dessinateurs qui ont conservé le souvenir de ces habitations ordinaires sous le règne de Louis-Philippe, dans des gravures souvent humoristiques. L’espace est alors un luxe autant qu’aujourd’hui, et l’entassement des meubles et des cartons, que le paravent a pour principale fonction de dissimuler, semble une caractéristique largement répandue des appartements de la petite bourgeoisie.
« Mademoiselle Leseigneur vint elle-même ouvrir la porte. En voyant le jeune peintre, elle le salua ; puis, en même temps, avec cette dextérité parisienne et cette présence d’esprit que la fierté donne, elle se retourna pour fermer la porte d’une cloison vitrée à travers laquelle Hippolyte aurait pu voir quelques linges étendus sur des cordes au-dessus des fourneaux économiques, un vieux lit de sangles, la braise, le charbon, les fers à repasser, la fontaine filtrante, la vaisselle et tous les ustensiles particuliers aux petits ménages. Des rideaux de mousseline assez propres cachaient soigneusement ce capharnaüm, mot en usage pour désigner familièrement ces espèces de laboratoires, mal éclairé d’ailleurs par des jours de souffrance pris sur une cour voisine. Avec le rapide coup d’œil des artistes, Hippolyte vit la destination, les meubles, l’ensemble et l’état de cette première pièce coupée en deux. La partie honorable, qui servait à la fois d’antichambre et de salle à manger, était tendue d’un vieux papier de couleur aurore, à bordure veloutée, sans doute fabriqué par Réveillon, et dont les trous ou les taches avaient été soigneusement dissimulés sous des pains à cacheter. Des estampes représentant les batailles d’Alexandre par Lebrun, mais à cadres dédorés, garnissaient symétriquement les murs. Au milieu de cette pièce était une table d’acajou massif, vieille de formes et à bords usés. Un petit poêle, dont le tuyau droit et sans coude s’apercevait à peine, se trouvait devant la cheminée, dont l’âtre contenait une armoire. Par un contraste bizarre, les chaises offraient quelques vestiges d’une splendeur passée, elles étaient en acajou sculpté ; mais le maroquin rouge du siège, les clous dorés et les cannetilles montraient des cicatrices aussi nombreuses que celles des vieux sergents de la garde impériale. Cette pièce servait de musée à certaines choses qui ne se rencontrent que dans ces sortes de ménages amphibies, objets innommés participant à la fois du luxe et de la misère. »
Honoré de Balzac, La Bourse, 1832