Le chemin de fer

Les chemins de fer construits en France transportent d’abord des marchandises ou du charbon. La liaison Paris à Saint-Germain, ouverte en 1837, est la première qui soit conçue uniquement pour des voyageurs. Ce mode de transport fait la preuve de sa rentabilité et d’autres lignes apparaissent rapidement, dont beaucoup rayonnent depuis Paris : on peut se rendre à Versailles en 1839 ; à Juvisy en 1840, une ligne prolongée jusqu’à Orléans  en 1843, Tours en 1846, Nantes en 1851… 

La vitesse peut-elle peut tuer les passagers par asphyxie, incapables qu’ils seront de respirer ? Les différences de températures brutales lors des passages sous les tunnels ne vont-elles pas causer de graves maladies pulmonaires ? Malgré ces craintes,  et malgré la spectaculaire catastrophe de Meudon, le premier accident ferroviaire en France, le succès de ce nouveau moyen de transport est fulgurant. 

Les caricaturistes vont évidemment s’emparer de cette révolution des mœurs. Comme les diligences, les premiers wagons comportent un étage non couvert où les passagers sont exposés au vent, au froid, à la pluie et aux poussières de charbon. Daumier souligne les désagréments réels ou supposés des transports ferroviaires, tels que les découvrent alors les Français.

Le Charivari 22 mars 1844, BAL02.459
Messieurs, nous allons entrer sous le grand tunnel qui est fort étroit…. je vous en supplie, ne bougez pas pendant tout le trajet….. il n’y a pas de voyage qu’il ne se perde ici un bras, une jambe ou un nez…… et vous comprendrez qu’il est impossible à l’administration de les retrouver dans un souterrain tout noir, qui a deux lieues de long !……
UN VOYAGE D’AGREMENT DE PARIS A ORLEANS. Le Charivari 7 juillet 1843, (Maison de Balzac, inv. BAL02.454) 
Saperlotte quelle trempée !… Il ne m’arrivera plus de prendre un wagon non couvert quand le ciel l’est beaucoup trop !…..

Heinrich Heine, grand poète allemand que son engagement politique a conduit en exil à Paris durant presque toute sa vie, y a fréquenté toutes les figures de l’art et de la pensée : Hector Berlioz, Frédéric Chopin, Alexandre Dumas, Théophile Gautier, George Sand… Balzac lui dédie en 1840 son roman Un Prince de la bohème. Heine devient le correspondant de plusieurs journaux allemands auxquels il envoie régulièrement des articles sur la vie parisienne. L’un d’eux fait état des nouveaux chemins de fer.

« Les voies ferrées sont à leur tour un semblable événement providentiel, qui donne un nouvel élan à l’humanité, qui change la forme et la couleur de la vie sociale ; une nouvelle ère commence dans l’histoire universelle, et notre génération peut se vanter d’avoir assisté à son inauguration. Quelles transformations doivent maintenant s’effectuer dans nos manières de voir et de penser ! Même les idées élémentaires de temps et de l’espace sont devenues chancelantes. Par les chemins de fer, l’espace est anéanti, et il ne nous reste plus que le temps. En trois heures et demi on fait maintenant le voyage d’Orléans ; en autant d’heures celui de Rouen. Que sera-ce, quand les lignes vers la Belgique et l’Allemagne seront exécutées et reliées aux chemins de fer de ces contrées ? Je crois voir les montagnes et les forêts de tous les pays marcher sur Paris. Je sens déjà l’odeur des tilleuls allemands ; devant ma porte se brisent les vagues de la mer du Nord. »

Heinrich Heine, « Lettre du 5 mai 1843 », Lutèce. Lettres sur la vie politique, artistique et sociale de la France, Michel Levy Frères, 1855

Jean-Jacques Champin, Le chemin de fer de Sceaux lors de son inauguration 7 juin 1846, mine de plomb sur papier, (Musée Carnavalet, inv. CARD9279)
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